Gosenzosama Banbanzai ! Gloire aux ancêtres !

Que feriez-vous si une jolie jeune fille débarquait chez vous et menaçait l'équilibre de votre famille en proclamant être votre adorable petite-fille en provenance du futur ?

Famille japonaise moyenne composée du fils un peu crampon, du père salaryman ordinaire en fin de carrière et d'une mère femme au foyer qui commence gentiment à ne plus supporter cette vie, les Yomota voient un jour débarquer sur le pas de leur porte la jolie Maroko. S'appuyant sur une preuve aussi caractéristique qu'irréfutable - une tâche de naissance sur la partie la plus charnue de son anatomie -, elle déclare à la stupéfaction de tous être leur arrière-petite-fille venue du futur partager un peu de temps avec sa famille.

C'est le début d'un processus de désintégration long de six épisodes.



Manipulatrice de génie ou voyageuse du temps aussi authentique qu'ingénue ? L'anime va constamment nourrir cette ambiguïté autours du personnage de Maroko, dont la présence va provoquer tout d'abord le départ de Tamiko, la mère, et qui est aussi celle qui nourrit le plus de soupçons face à l'honnêteté de Maroko. Laquelle prends aussitôt, et semble-t'il sans aucun remords, la place de cette dernière au sein de la famille. Une situation aussi étrange que potentiellement malsaine s'installe alors, d'une part entre Maroko et chacun des deux hommes de la famille, qui semble croire son histoire sans y croire sérieusement, et d'autre part entre le père et le fils pour cause de rivalité pour les beaux yeux et l'affection de Maroko. Problème résolu quand, profitant de la confusion générée par l'arrivée d'un membre auto-proclamé de la police du temps, Inumaru et Maroko fuguent et partent vivre ensemble dans un petit appartement miteux. Fugue qui sera de courte durée. Une demande de remboursement d'emprunt que le père aurait contracté avant de disparaitre plus tard, et Inumaru se retrouve enchainé comme un chien à un piquet, obligé de travailler pour une gargotte de troisième zone plantée au beau milieu d'une plage déserte d'Oarai pour rembourser le dû. Plage qui servira de lieu de retrouvaille improbable à toute la famille, désormais hors la loi et obligée de fuir les forces de l'ordre. Vivant dorénavant de menus larcins, fuyant de ville en ville, celle-ci se retrouve un soir dans un café désaffecté qui sera aussi la scène du climax de la série. Nous sommes alors à l'épisode 5, reste un dernier épisode, lequel, en forme d'épilogue situé plusieurs années plus tard, mélange allègrement cette bonne vieille méditation Oshienne sur la nature de la réalité et du rêve, mais aussi et surtout, la mélancolie d'un Inumaru plus âgé, nostalgique d'une époque enfuie - mélancolie dont, assez dramatiquement, il n'arrive pas à se dépêtrer.



Mis à part cet épilogue un peu particulier, Gosenzosama banbanzai (御先祖様万々歳!) affecte une forme originale pour un anime c'est celle du théâtre qui est imitée : l'action est divisée en "actes" (épisodes), chacun correspondant à un décors, à un groupe de personnages et à une étape narrative clairement définis à l'issue de laquelle la situation des Yomota va connaitre un changement : départ de la mère, fuite "en amoureux" du fils et de Maroko, etc. Lors de chacun des cinq premiers épisodes, l'action est présentée comme sur une scène, où les personnages font face à un espace vide correspondant à un public invisible, ou encore au téléspectateur; public que l'on entends pourtant applaudir à la fin de chaque épisode lors du "baisser de rideau". Enfin, l'importance du dialogue (et des monologues intérieurs de personnages) sur l'action et le nombre réduit de personnages renvoient eux aussi à des codes que l'on associe le plus souvent au théâtre. La série semble emprunter des recettes à tout le spectre du théâtre moderne japonais depuis les thèmes réalistes du théâtre shingeki d'inspiration occidental jusqu'aux ficelles expérimentales du théâtre d'après-guerre dans les courtes histoires mettant en scène des oiseaux au début de chaque épisode, les intermèdes chantés du Takarazuka ou encore le côté cheap du théâtre amateur et prolétaire sho gekijo des années 80.



Les personnages du drame




Yomota Maroko - petite-fille auto-proclamée de Inumaru, voyageuse temporelle venu vivre avec sa famille alors que, assez ironiquement, c'est son apparition qui va entraîner la ruine de la famille Yomota. Elle s'exprime toujours dans un registre de langage particulièrement polie, voire désuet, ce qui parait incongru pour une visiteuse futuriste. Elle est jouée par Masako Katsuki (勝生真沙子, Maya Kitajima dans Glass Mask et Michiru/Neptune dans Sailor Moon).

Yomota Inumaru - personnage principal et lycéen ordinaire. Parasite familial et fier de l'être, l'arrivée de la jolie Maroko va exciter sa fibre lubrique : que son histoire soit vraie ou non et qu'elle soit sa petite-fille ou pas, il n'a qu'un désir : passer un peu de temps seul avec la jeune fille. Il est joué par Toshio Furukawa (古川登志夫, Ataru dans Urusei Yatsura pour lequel il utilisait le même rire de hyène lubrique inimitable).

Yomota Kinekuni - père de famille et salaryman ordinaire, il est arrivé à s'assure un maigre rang hiérarchique quelconque après une vie de travail dans son entreprise; vie de labeur qui s'ait faite au détriment de sa famille, avec laquelle il ne nourrit plus que des relations au mieux glaciales. L'arrivée de Maroko et le départ de sa femme Tamiko va le précipiter tout droit dans la pente de la déraison : après s'être endetté pour s'acheter une maison, il va commettre un braquage pour tenter de rembourser son crédit et finit très vite recherché par la police. il est joué par Kenichi Ogata (緒方賢一, Genma Saotome dans Ranma 1/2).


Yomota Tamiko - Mère de famille, en conflit avec son voisinage et une rationaliste dont la première réaction face à l'histoire de Maroko est la suspicion - même si ironiquement, elle adopte une conduite de moins en moins raisonnable au fil de l'histoire. Une fois partie de sa maison, elle engage le détective Tatara Bannai pour enquêter sur Maroko, avant de refaire sa vie avec lui, plus tard. Elle est jouée par Machiko Washio (鷲尾真知子, Sakura la miko de Urusei Yatsura, mais aussi l'officier kerberos Midori dans le film Akai Megane de Oshii).

Muroto Bunmei (pseudonyme) - un autre voyageur du futur auto-proclamé et officier de la police temporelle, son rôle est apparemment de dissuader Maroko de causer un paradoxe temporel. Véritable trickster métamorphe, il réapparaît plus tard sous d'autres apparences apparemment dans le seul but de causer des ennuis à la famille Yomota. Son véritable but (et sa vraie personnalité) sont tout autre... Il apparaît à partir de l'épisode 2. Il est joué par Tesshô Genda (玄田哲章, Umibôzu dans City Hunter).

Tatara Bannai - le détective privé que Tamiko engage pour garder un oeil sur sa famille. Personnage dont la veulerie n'égale que la passion pour la photographie, il deviendra très vite le laquet de la cette dernière. Il apparaît à partir de l'épisode 3. Il est joué par Kôichi Yamadera (山寺宏一, Ryoga dans Ranma 1/2).

Enfin, Ichirô Nagai (永井一郎, l'inoubliable Cherry dans Urusei Yatsura) prête sa voix en tant que narrateur au début de chaque épisode.



L'équipe de production


Alors en plein projet Patlabor (l'année 1989 voit la fin de la première série d'OAV, la diffusion sur grand écran du premier film et le début de la série TV), Mamoru Oshii réalise Gosenzosama Banbanzai! pour les dix ans du Studio Pierrot, où le projet connait un parcours difficile. A ses côtés comme toujours, on retrouve aussi Kenji Kawai à la bande-son; rappelons qu'il avait travaillé en 1987 sur la première OAV de Devilman et a débuté lui aussi l'aventure Patlabor en 88.



Gosenzosama Banbanzai! est avant tout une étape importante du point de vue de l'animation. En effet, c'est la première fois (et l'une des seules, avec Kujira no Peek) que Satoru Utsunomiya, l'un des animateurs majeurs de Akira, se voit chargé de créer le chara-design et de superviser l'animation d'un anime en entier : il va en profiter pour mettre en avant une animation recherchée portant avant tout sur le dynamisme et le réalisme des mouvements, au détriment de modèles détaillés des personnages. D'où une manière de se mouvoir très particulière pour ces derniers, façon marionnette à joints articulés, et à mille lieux des personnages plus 'raides' d'autres animes.

Pour se faire, il va s'entourer d'une équipe d'animateurs parmi lesquels les grands noms abondent : Mitsuo Iso (Denno Coil) anime le discours de Muroto dans l'épisode 2 ou le passage avec Yomota en train de courir dans les champs au début du 6; Shinji Hashimoto réalise la scène avec l'autruche dans le 4; les noms de Shinya Ohira, Norio Matsumoto et de Osamu Tanabe sont aussi crédités au générique. Au final, on se retrouve avec l'une des séries d'OAV les mieux animées de son temps - malgré l'absence de scènes d'actions et d'explosions dans tous les sens; dans Gosenzosama Banbanzai!, cette qualité de l'animation passe par le langage corporel des personnages, leurs maniérismes et leurs façon de se tenir, et qui se révèlent finalement un outil fantastique pour les rendre vivants.

Staff :
Réalisation, script : Mamoru OSHII (押井守)
Chara-design, dir. de l'animation : Satoru UTSUNOMIYA (うつのみやさとる)
Aide à la dir. animation : Hajimoto Kôichi (橋本浩一)
Dir. artistique : Yuji IKEDA (池田祐二)
Photo : Nobuo KOYAMA (小山信夫)
Musique : Kenji KAWAI (川井憲次)
Production musicale : Shigeru CHIBA (千葉繁)
Production du projet : Studio Pierrot



Retour vers le futur


Oshii ne cache pas qu'il n'aimait pas les personnages de Urusei Yatsura durant son temps sur la série. Le fait fait que Gosenzosama Banbanzai présente des similitudes avec son précédent travail au Studio Pierrot sonne donc comme une réappropriation du thème par Oshii : l'arrivée d'une jolie jeune fille, laquelle va précipiter une famille ordinaire dans une foule de péripéties extraordinaires. Mamoru Oshii va faire fi des éléments caractéristiques de la saga de Rumiko Takahashi - gags, références mythologiques, SF - mis à part pour fournir l'idée de base du voyage temporel : il va s'approprier les prémices de l'intrigue de Urusei Yatsura afin de parler plus spécifiquement de la famille japonaise moderne via l'exemple des Yotoma (Yamato ? Admirez le jeu de mots).



Entre les années 70 et le milieu de années 80, la famille nippone connait certaines évolutions : diminution du nombre de foyers regroupant trois générations sous le même toit, légère augmentation du nombre de couples vivants avec leurs enfants, et nette augmentation du nombre de foyers mono-générationnel : couples seuls, personnes âgées; parmi ces derniers, la proportion de ceux vivants avec leurs enfants adultes est tombée de 77% en 1970 à 65% en 1985, tandis que le nombre de personnes âgées vivant en maison de retraite faisait plus que doubler durant la même période. [1]

En japonais, "Gosenzosama banbanzai !" pourrait signifier "Gloire aux ancètres !". Chaque été au Japon, le festival Obon marque le retour sur Terre des esprits des défunts. Durant cette fête, chacun est censé nettoyer les tombes de ses ancêtres. Pour beaucoup de japonais, cette fête est l'occasion de passer du temps en famille. Or, le premier épisode de Gosenzosama banbanzai semble se dérouler une journée d'été : et si l'histoire de l'OAV était celle d'un Obon à l'envers, où les descendants, venus du futur, viennent rendre visite à leurs ancêtres de leur vivant ? Assez curieusement, c'est le sixième et dernier épisode, qui prends place après le départ de Maroko, donc après la fin de ce faux Obon, qui est finalement placé sous le signe de la mort.

Autre particularité de Gosenzosama banbanzai, ces petites animations délirantes au début de chaque épisode et où on passe en revue les moeurs famillales de diverses races d'oiseaux : du coucou et sa mauvaise manie de faire élever ses petits par les autres au rhinoceros hornbill qui élève une vraie graine d'hikkikomori, ces séquences sont un moyen de mettre en abyme ce thème 'familial' de l'anime.



Sous ses apparences d'oeuvre un peu mineure dans la filmographise de Oshii, Banbanzai recèle pourtant énormément de points communs à d'autres travaux du futur réalisateur de Ghost in the Shell. Sans doute le plus voyant, c'est le dirigeable des épisodes 1 et 6 que l'on reverra plus tard dans le second film de Patlabor. Plus subtils, ce sont ceux reliant cet anime à ses deux sagas phares, celle plus connue des policiers Kerberos comme son hommage aux héros des troquets nippons tachigui qui mangent leurs bols de soba et de gyudon avant de s'enfuir héroiquement sans payer, et que l'on retrouve dans l'oeuvre de Oshii depuis un épisode hystérique Hisatsu! Tachigui Wars! de Urusei Yatsura diffusé en 1984 jusqu'au "documentaire animé" Tachiguishi Retsuden en 2006; deux sagas qui peuvent être considéré comme un seul grand cycle et l'oeuvre maitresse de Oshii, partageant des personnages récurrents dont notamment Foxy Croquette O-Gin : Tachiguishi (maitre dans l'art de manger debout puis de partir sans payer donc), ancienne terroriste de la Secte (dans Kerberos) et héroine du récent manga Kerberos x Tachiguishi : Harahara-dokei no Shôjo en 2006, elle aurait aussi récemment été aperçue au sein des combattants en Palestine... deux personnages récurrents de ce gigantesque méta-univers apparaissent dans Gosenzosama Banabanzai, du moins par leurs noms : Muroto Bunmei est un officier Kerberos en plus d'être membre de la police temporelle, et Naki no Inumaru est un Tachiguishi des années 60 : était-il l'un des ancêtres des Yomota ? Sans oublier que Tachiguishi devient quasiment la vocation de l'Inumaru de Gosenzosama Banbanzai dans l'épisode final. Au passage, on remarque que son nom (inu - chien) mais aussi ses rêveries où il se voit en fidèle toutou de Maroko ou bien encore en chien errant harcelant la famille Yomota lors d'un pique-nique, renvoit à cet autre élément récurrent des travaux de Oshii : les canidés de tout poils.

On peux aussi remarquer que le motif du voyage dans le temps sert à installer d'autres thèmes récurrents chez Oshii. La boucle temporel dont l'existence est démontrée dans l'épisode 5 de Banbanzai, renvoi aussi aux épisodes de Twilight Q (1987) : dans le premier, qu'il a scénarisé et qui a été réalisé par Tomomi Mochizuki, une jeune fille découvre un vieil appareil photo abandonné sur une plage; en développant le film, elle se découvre sur la pellicule, mais n'a aucun souvenir de s'être laissé prendre en photo. Dans le second épisode, qu'il a écrit et réalisé, un détective privé est engagé pour enquêter sur une petite fille et son père, pour découvrir qu'il est ce père et que son rôle est de s'occuper de la petite fille, avant d'être remplacé par le détective suivant; et que ce cycle ce répètera de toute éternité. La conception du temps comme étant quelque chose d'à la fois élastique (pour permettre le passage d'une époque à une autre) et inévitable (les événements sont condamnés à se répéter) se retrouve bien dans les deux titres.

Enfin, le fameux dernier épisode renvoi par son titre à un autre fameux long-métrage de la filmographie Oshiienne : Kochou no Yume, c'est le rêve du papillon cher à Tchouang-tseu et aux compagnons de Lamu dans Beautiful Dreamer. En interview, Oshii s'était posé la question du caractère ambigu de nos souvenirs : comment discerner entre le souvenir d'un fait réel et un produit enjolivé de notre imagination ? Le problème est le même pour Inumaru dans cet ultime épisode, à l'ambiance radicalement différente des précédents : perdu entre rêve et réalité, dans une vie solitaire passée sur les routes - la famille Yomota n'existant plus -, en quête de l'objet de ses souvenirs...



Conclusion :


Un film récapitulatif de 90 minutes intitulé Maroko sortira en 90, sans rencontrer un franc succès - à l'instar de la série d'OAV d'ailleurs; à ce titre, Gosenzosama banbanzai est caractéristique de la carrière de Mamoru Oshii dans la seconde moitié des années 80 et avant qu'il n'intègre l'équipe responsable du projet Patlabor, quant il était parfois vu comme un réalisateur difficile, aux oeuvres pas forcément accessibles du grand public. Oeuvre mineure dans la carrière du réalisateur, elle n'en continue pas moins à fasciner par son animation révolutionnaire et sa mise en scène originale, faisant la part belle aux dialogue échevelés d'un groupe de personnages bons à enfermer.





Références :[1] Japan : Country Studies - Federal Research Division, Library of Congress, 1992 (en) - lien

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